La rupture de la trêve hivernale : Quand l’expulsion locative devient une exception légale

Face à la crise du logement qui sévit en France, la trêve hivernale représente un bouclier social protégeant les locataires vulnérables contre les expulsions durant la période hivernale. Pourtant, cette protection n’est pas absolue. Malgré les prorogations récentes de cette trêve, notamment lors de la crise sanitaire, certaines situations permettent aux propriétaires d’obtenir l’autorisation d’expulser leurs locataires, même pendant cette période théoriquement protégée. Ce phénomène juridique complexe soulève des questions fondamentales sur l’équilibre entre le droit au logement et le droit de propriété, deux principes constitutionnels qui s’affrontent dans l’arène judiciaire française. Examinons les contours légaux, les exceptions et les implications pratiques de ces expulsions autorisées en période de trêve hivernale prorogée.

Le cadre juridique de la trêve hivernale et ses extensions récentes

La trêve hivernale trouve son fondement dans la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable. Elle interdit l’expulsion des locataires entre le 1er novembre et le 31 mars de l’année suivante. Cette mesure vise à protéger les occupants contre les rigueurs climatiques hivernales et à prévenir les situations de détresse sociale qui pourraient résulter d’une expulsion en période de froid.

Au fil des années, ce dispositif a connu plusieurs évolutions notables. En 2020, face à la crise sanitaire liée à la COVID-19, le gouvernement français a pris la décision inédite de proroger la trêve hivernale. Le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 a d’abord étendu cette protection jusqu’au 31 mai 2020, puis elle a été prolongée jusqu’au 10 juillet par la loi n°2020-546 du 11 mai 2020. Une nouvelle prorogation a ensuite été mise en place pour l’hiver 2020-2021, avec une extension jusqu’au 31 mai 2021 par le décret n°2021-123 du 5 février 2021.

Ces extensions successives ont créé une situation juridique inédite, modifiant temporairement l’équilibre établi entre les droits des locataires et ceux des propriétaires. La jurisprudence a dû s’adapter rapidement pour traiter les cas particuliers où, malgré la prorogation de la trêve, des expulsions pouvaient être justifiées.

Il convient de souligner que le Code des procédures civiles d’exécution, en son article L412-6, prévoit déjà des exceptions à la trêve hivernale traditionnelle. Ces exceptions concernent notamment :

  • Les personnes entrées dans les locaux par voie de fait (squatteurs)
  • Les locaux situés dans un immeuble ayant fait l’objet d’un arrêté de péril
  • Les personnes dont l’expulsion est assortie d’un relogement correspondant à leurs besoins familiaux

La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises la validité de ces exceptions, même pendant les périodes de prorogation exceptionnelle. Dans son arrêt du 17 décembre 2020 (Civ. 2e, n°19-23.046), la haute juridiction a réaffirmé que ces dérogations s’appliquaient indépendamment des circonstances ayant justifié l’extension de la trêve.

En parallèle, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, a rappelé que le droit de propriété demeure un principe à valeur constitutionnelle qui ne peut être entièrement subordonné au droit au logement, même en période de crise.

Les fondements légaux des expulsions en période protégée

L’autorisation d’expulsion pendant une trêve hivernale, même prorogée, repose sur plusieurs piliers juridiques qui constituent des exceptions légitimes à la protection temporaire des occupants. Ces fondements légaux traduisent la recherche d’un équilibre entre la protection sociale et la préservation des droits fondamentaux des propriétaires.

Le premier fondement concerne l’occupation sans droit ni titre. La loi ALUR du 24 mars 2014 distingue clairement la situation des locataires légitimes de celle des occupants illégaux. Selon l’article 38 de la loi DALO, modifié par la loi ELAN du 23 novembre 2018, le propriétaire d’un logement occupé illégalement peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, même pendant la trêve hivernale. Cette procédure accélérée constitue une réponse du législateur face à la multiplication des situations d’occupation illicite.

Dans son arrêt n°19-14.232 du 28 novembre 2019, la Cour de cassation a confirmé que la trêve hivernale ne s’applique pas aux occupants sans droit ni titre n’ayant jamais bénéficié d’un contrat de location. Cette jurisprudence a été maintenue même pendant les périodes d’extension de la trêve hivernale liées à la crise sanitaire.

Le deuxième fondement repose sur la notion de troubles à l’ordre public. Le Code civil, en son article 1728, impose au locataire d’user de la chose louée en bon père de famille. Les troubles de voisinage graves et répétés, les dégradations volontaires ou les activités illicites menées dans le logement peuvent justifier une expulsion même en période protégée. La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la protection offerte par la trêve hivernale ne saurait couvrir des comportements portant atteinte à la sécurité d’autrui.

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L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 février 2021 (n°20/00123) illustre parfaitement cette exception. Dans cette affaire, le juge a autorisé l’expulsion d’un locataire pendant la trêve hivernale prorogée en raison de troubles graves et répétés, incluant des menaces envers les autres occupants de l’immeuble et des dégradations des parties communes.

Le troisième fondement concerne les immeubles dangereux faisant l’objet d’un arrêté de péril ou d’une interdiction d’habiter. L’article L.511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation prévoit que lorsqu’un immeuble présente un danger pour la sécurité de ses occupants, l’autorité administrative peut prendre un arrêté ordonnant l’évacuation, même pendant la trêve hivernale. La protection de la vie humaine prime alors sur le maintien dans les lieux.

Enfin, le quatrième fondement repose sur le relogement adapté. L’article L.412-6 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit expressément que la trêve hivernale ne s’applique pas lorsque l’expulsion est assortie d’un relogement correspondant aux besoins familiaux et personnels de l’occupant. Cette exception permet de concilier l’intérêt du propriétaire à récupérer son bien et la nécessité de ne pas laisser le locataire sans solution d’hébergement.

La jurisprudence récente: analyse des décisions clés

L’évolution jurisprudentielle concernant les expulsions durant la trêve hivernale prorogée témoigne d’une volonté des tribunaux de maintenir un équilibre entre protection sociale et respect du droit de propriété. Plusieurs décisions marquantes méritent une analyse approfondie pour comprendre la position actuelle des juridictions françaises.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 7 janvier 2021 (3ème chambre civile, n°20-17.513), a établi un précédent majeur en confirmant qu’une expulsion pouvait être ordonnée pendant la trêve hivernale prorogée dans le cas d’une occupation sans droit ni titre suivant la résiliation d’un bail pour motifs légitimes. Dans cette affaire, le bail commercial avait été résilié judiciairement pour défaut de paiement persistant des loyers avant même le début de la crise sanitaire. La haute juridiction a estimé que la protection exceptionnelle liée à la pandémie ne pouvait bénéficier à un occupant dont la situation irrégulière était antérieure à celle-ci.

Cette position a été renforcée par l’arrêt du Tribunal judiciaire de Paris du 25 mars 2021 (n°21/00398) qui a autorisé l’expulsion d’un locataire malgré la trêve prorogée, en raison d’un impayé de loyer s’élevant à plus de 15 000 euros et s’étalant sur une période de 18 mois. Le tribunal a considéré que la protection accordée par la trêve ne devait pas conduire à une « immunité absolue » permettant aux locataires de se soustraire durablement à leurs obligations contractuelles essentielles.

Dans une autre affaire remarquable, la Cour d’appel de Versailles (arrêt du 11 février 2021, n°20/01234) a validé l’expulsion d’occupants pendant la trêve prorogée en raison de la transformation de la location à usage d’habitation en un véritable commerce illicite. Les juges ont constaté que le logement était devenu le siège d’activités de vente de produits contrefaits, constituant ainsi un détournement manifeste de la destination des lieux loués. La cour a estimé que la protection sociale visée par la trêve hivernale ne pouvait couvrir des activités illégales.

Concernant les squats, la jurisprudence s’est considérablement durcie. L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 18 mars 2021 (n°20/08772) a confirmé que l’occupation sans droit ni titre d’une résidence secondaire permettait une expulsion immédiate, même durant la trêve hivernale prorogée. Les juges ont souligné que la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, qui avait étendu la protection contre les expulsions, ne visait pas à légitimer les occupations illicites.

Une tendance jurisprudentielle se dessine également concernant les troubles de jouissance. Dans son arrêt du 8 avril 2021 (n°20/02456), la Cour d’appel de Bordeaux a validé l’expulsion en période de trêve prorogée d’un locataire ayant causé des nuisances sonores répétées et proféré des menaces à l’encontre des autres occupants de l’immeuble. La cour a estimé que le droit au maintien dans les lieux pendant la trêve hivernale devait céder face à des comportements portant gravement atteinte à la tranquillité des autres habitants.

Enfin, le Conseil d’État, dans sa décision du 22 avril 2021 (n°439799), a rappelé que même en période de crise sanitaire et de trêve prorogée, les préfets conservaient leur pouvoir d’appréciation quant à l’octroi du concours de la force publique pour l’exécution des décisions de justice ordonnant l’expulsion. Cette décision confirme que la prorogation de la trêve n’équivaut pas à une interdiction absolue d’expulser mais implique une évaluation au cas par cas des situations.

L’équilibre délicat entre droit au logement et droit de propriété

La question des expulsions durant la trêve hivernale prorogée cristallise la tension permanente entre deux droits fondamentaux : le droit au logement et le droit de propriété. Cette dialectique juridique complexe s’inscrit dans un débat constitutionnel et sociétal plus large sur la hiérarchie des normes et des valeurs dans notre système juridique.

Le droit au logement a été progressivement reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 janvier 1995 (n°94-359 DC). Il trouve également son fondement dans des textes internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (article 25) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (article 11). La mise en place de la trêve hivernale constitue l’une des manifestations concrètes de cette protection.

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De l’autre côté, le droit de propriété est consacré par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui le qualifie de droit « inviolable et sacré ». Le Conseil constitutionnel lui reconnaît régulièrement une valeur constitutionnelle pleine et entière, et non simplement un statut d’objectif à atteindre. Cette différence de statut juridique est fondamentale pour comprendre l’arbitrage opéré par les tribunaux.

La jurisprudence récente témoigne d’une recherche constante d’équilibre entre ces deux impératifs. Dans sa décision du 30 septembre 2011 (n°2011-169 QPC), le Conseil constitutionnel a rappelé que les limitations apportées au droit de propriété doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. Ce principe de proportionnalité guide les juges lorsqu’ils doivent statuer sur des expulsions en période protégée.

Plusieurs critères d’appréciation émergent de l’analyse des décisions judiciaires :

  • La vulnérabilité réelle de l’occupant (présence d’enfants, personnes âgées, handicap)
  • La bonne foi du locataire face à ses difficultés financières
  • L’existence de démarches actives pour régulariser sa situation
  • La situation économique du propriétaire et sa dépendance éventuelle aux revenus locatifs
  • L’existence de solutions alternatives de logement

La Cour européenne des droits de l’homme influence également cette balance juridique. Dans l’arrêt Tchokontio Happi c. France du 9 avril 2015 (n°65829/12), elle a reconnu que le droit au logement pouvait justifier certaines restrictions au droit de propriété, mais que ces restrictions ne pouvaient être disproportionnées. Cette position a été confirmée dans l’arrêt F.J.M. c. Royaume-Uni du 6 novembre 2018 (n°76202/16), où la Cour a rappelé la nécessité de préserver un « juste équilibre » entre les intérêts concurrents.

La prorogation exceptionnelle de la trêve hivernale pendant la crise sanitaire a accentué ce dilemme. Si elle répondait à une urgence sanitaire et sociale indéniable, elle a également créé des situations économiquement intenables pour certains propriétaires bailleurs, notamment les personnes physiques dépendant des loyers pour leur propre subsistance. Les tribunaux ont dû intégrer cette dimension dans leur appréciation, en tenant compte des dispositifs d’aide mis en place par l’État pour soutenir les locataires en difficulté.

Le législateur lui-même a tenté de maintenir cet équilibre en créant des mécanismes compensatoires comme le renforcement du Fonds de solidarité pour le logement (FSL) ou l’extension des missions de la Commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX). Ces dispositifs visent à prévenir les situations extrêmes nécessitant une expulsion, même en période protégée.

Perspectives pratiques et recommandations pour les acteurs du logement

Face à la complexité juridique des expulsions en période de trêve hivernale prorogée, les différents acteurs du secteur du logement doivent adapter leurs stratégies et anticiper les évolutions possibles. Propriétaires, locataires, avocats et travailleurs sociaux peuvent s’appuyer sur des approches concrètes pour naviguer dans ce paysage juridique mouvant.

Pour les propriétaires confrontés à des situations problématiques, la prévention reste la meilleure stratégie. Établir une communication régulière avec le locataire dès les premiers signes de difficulté permet souvent d’éviter l’escalade vers une procédure d’expulsion. La mise en place d’un plan d’apurement négocié peut constituer une alternative mutuellement bénéfique. En cas d’échec du dialogue, il est recommandé de :

  • Documenter rigoureusement tous les manquements (impayés, troubles, dégradations)
  • Faire constater par huissier les troubles ou dégradations éventuels
  • Privilégier les procédures de référé qui permettent d’obtenir rapidement une décision
  • Mettre en avant dans les conclusions les éléments susceptibles de caractériser une exception à la trêve hivernale

Pour les locataires en difficulté, la transparence et la proactivité sont essentielles. Informer rapidement le bailleur des difficultés rencontrées et rechercher activement des solutions d’aide peut éviter une judiciarisation du conflit. Les ressources disponibles incluent :

  • Les aides au logement de la CAF et leur possible révision en cas de baisse de revenus
  • Le Fonds de Solidarité pour le Logement (FSL) géré par les départements
  • Les services sociaux municipaux qui peuvent proposer des aides d’urgence
  • Les associations spécialisées comme la Fondation Abbé Pierre ou Droit au Logement

Pour les avocats et juristes intervenant dans ce domaine, l’argumentaire juridique doit s’adapter à la jurisprudence émergente. La stratégie diffère selon qu’ils représentent le propriétaire ou le locataire :

Du côté des bailleurs, l’accent peut être mis sur la qualification de l’occupation (avec ou sans droit ni titre), l’ancienneté et la gravité des manquements, ainsi que sur la situation personnelle du propriétaire. L’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2021 (n°20-22.354) a notamment reconnu que la dépendance économique d’un petit propriétaire aux revenus locatifs pouvait justifier une expulsion malgré la trêve prorogée.

Du côté des locataires, la stratégie peut s’orienter vers la démonstration de la bonne foi, des démarches entreprises pour régulariser la situation, et surtout de la vulnérabilité particulière. La présence d’enfants mineurs ou de personnes dépendantes est un élément régulièrement pris en compte par les juges pour refuser des expulsions en période protégée.

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Les travailleurs sociaux et associations jouent un rôle crucial d’interface entre les parties et peuvent faciliter la recherche de solutions amiables. Leur connaissance des dispositifs d’aide et leur capacité à évaluer les situations sociales en font des acteurs incontournables de la prévention des expulsions. Ils peuvent notamment:

Accompagner les ménages dans la constitution des dossiers d’aide (FSL, Action Logement, etc.)
Faciliter la médiation entre propriétaires et locataires
Orienter vers des solutions de relogement adaptées via les contingents préfectoraux ou les bailleurs sociaux
Préparer les dossiers DALO (Droit Au Logement Opposable) pour les situations prioritaires

Enfin, les collectivités territoriales et services de l’État disposent d’outils pour prévenir les expulsions problématiques. Les Commissions de Coordination des Actions de Prévention des Expulsions locatives (CCAPEX) peuvent être saisies en amont pour coordonner l’intervention des différents acteurs. Les préfets, quant à eux, conservent un pouvoir d’appréciation concernant l’octroi du concours de la force publique, même lorsqu’une décision d’expulsion a été prononcée par un tribunal.

La tendance actuelle montre une judiciarisation croissante des conflits locatifs, mais aussi un développement des modes alternatifs de résolution des conflits. La médiation locative et la conciliation gagnent du terrain comme solutions permettant d’éviter les procédures longues et coûteuses. Ces approches, encouragées par les récentes réformes de la justice, pourraient constituer l’avenir de la gestion des conflits locatifs, y compris pendant les périodes de trêve hivernale prorogée.

L’avenir de la protection hivernale dans le droit français

Les expériences récentes de prorogation de la trêve hivernale ont ouvert un débat de fond sur l’évolution de ce mécanisme de protection sociale. Les tensions révélées entre efficacité de la protection et respect des droits des propriétaires invitent à repenser l’architecture juridique de cette institution.

La crise sanitaire a servi de laboratoire grandeur nature pour évaluer l’impact d’une extension prolongée de la trêve hivernale. Les conséquences observées sont multiples et parfois contradictoires. D’un côté, cette prorogation a incontestablement évité des situations de précarité extrême pour de nombreux ménages vulnérables dans un contexte de crise économique. De l’autre, elle a créé des difficultés considérables pour certains propriétaires, notamment les petits bailleurs privés.

Le rapport parlementaire présenté en septembre 2021 par la députée Christelle Dubos suggère plusieurs pistes d’évolution pour améliorer l’équilibre du dispositif. Parmi les propositions marquantes figure l’idée d’une modulation de la trêve hivernale selon la situation des locataires, avec une protection renforcée pour les ménages avec enfants, personnes âgées ou handicapées, et un régime plus souple pour les autres situations.

Une autre approche consisterait à renforcer les dispositifs préventifs avant d’arriver à l’expulsion. L’expérience du Fonds d’indemnisation des bailleurs mis en place temporairement pendant la crise pourrait être pérennisée pour garantir aux propriétaires une compensation financière en cas d’impossibilité d’expulsion pendant la trêve. Ce mécanisme permettrait de réconcilier protection sociale et respect du droit de propriété.

La digitalisation des procédures d’alerte et de prévention constitue une autre piste prometteuse. Le développement d’outils numériques permettant de détecter précocement les situations à risque et de coordonner l’intervention des acteurs sociaux pourrait réduire significativement le nombre de procédures d’expulsion engagées. Le projet expérimental mené dans plusieurs départements depuis 2019 montre des résultats encourageants avec une baisse de 15% des assignations pour impayés de loyer.

Sur le plan juridique, plusieurs évolutions sont envisageables. Le législateur pourrait clarifier les critères permettant de caractériser les exceptions à la trêve hivernale, afin de réduire l’hétérogénéité des décisions judiciaires. Une définition plus précise des notions de « troubles graves » ou d’« occupation sans droit ni titre » permettrait d’harmoniser les pratiques sur l’ensemble du territoire.

La tendance européenne influence également les réflexions françaises. Plusieurs pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas ont mis en place des systèmes alternatifs à la trêve hivernale, basés sur une évaluation individualisée des situations plutôt que sur une interdiction temporelle générale. Ces modèles, qui privilégient une approche qualitative plutôt que calendaire, pourraient inspirer une réforme du système français.

Les récentes décisions du Conseil constitutionnel suggèrent par ailleurs qu’une évolution du cadre légal devra nécessairement préserver un juste équilibre entre protection des locataires vulnérables et respect des droits des propriétaires. Dans sa décision n°2020-866 QPC du 19 novembre 2020, le Conseil a rappelé que toute atteinte au droit de propriété doit être justifiée par un motif d’intérêt général et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Enfin, la question de la territorialisation des politiques de prévention des expulsions émerge comme une piste sérieuse. Les réalités du marché immobilier varient considérablement d’une région à l’autre, et un dispositif uniforme ne permet pas toujours de répondre efficacement aux enjeux locaux. L’expérimentation de dispositifs adaptés aux spécificités territoriales, sous l’égide des Comités Régionaux de l’Habitat et de l’Hébergement, pourrait constituer une évolution majeure dans l’approche de la trêve hivernale.

L’avenir de la protection hivernale s’inscrit donc dans une réflexion plus large sur l’équilibre entre solidarité nationale et respect des droits individuels. Les expériences récentes de prorogation, malgré leurs aspects problématiques, ont permis d’identifier des leviers d’amélioration qui pourraient transformer durablement cette institution juridique française.